Ça, c’est la tête qu’elle fait quand elle est contrariée. C’est celle qu’elle a fait tout à l’heure quand je lui ai reproché je ne sais plus quoi, pendant que je fermais la porte et qu’elle m’attendait de l’autre côté du portail. J’ai entendu une voix d’homme s’adresser à elle et lui dire « bah alors c’est quoi cette tête, allez vas-y, fais un sourire, c’est quand même plus agréable ». Et puis je les ai vus, lui sortant de sa bagnole qu’il venait de garer, souriant, plein de bonnes intentions sans doute, prenant donc à parti ma fille qui, postée sur le trottoir, dans une attitude docile de petite fille à qui on a appris qu’il fallait obéir aux adultes, offrait laborieusement le sourire qu’on lui demandait. « Bah voilà ! Tu sais un sourire ça coûte rien, et comme ça t’es plus jolie. »
C’est à ces mots que j’ai senti un truc vriller. J’ai dit à ma fille qu’elle pouvait se remettre à bouder, qu’elle n’avait pas à lui donner ce sourire, et à lui qu’il n’avait pas à lui demander. Est-ce que ça lui était déjà arrivé à lui, un jour de moins bien, de sortir de sa maison, et qu’une femme lui demande avec insistance de sourire parce que ça le rend plus beau ? (Attention, spoil : non) Vous allez me dire, il y a une question d’âge, il n’a pas 9 ans. Certes, mais moi non plus, enfin pas loin mais pas tout à fait 9 ans, mes amies pareil, et pour en avoir parlé avec certaines d’entre elles je sais que c’est assez courant de se faire limite engueuler dans la rue parce qu’on ne sourit pas assez. Je lui ai demandé s’il imaginait sincèrement une femme se permettre ce genre de réflexion à un homme. Puis si lui, en tant qu’homme, s’imaginait dire ça a un autre homme. Il a dit non et non, mais avec l’air de quelqu’un qui ne voit vraiment pas le rapport ni le problème.